Dédicace à Cultura à Carcassonne le samedi 06 mai de 14h00 à 18h00...



Pierre Thiollière dédicacera son dernier livre, les Poèmes insoumis, à la librairie Cultura, 165A Rue Juliette Costeplane, 11000 Carcassonne ce samedi 6 mai entre 14h et 18h. Vous pourrez vous procurer également mes autres livres, La Vie pourtant, Le Voyage de Genest, Saint Ginès, bouffon et martyr, Ecbatane et autres récits, Poèmes du bon amour, Automne en mai.




Les prisonnières de Montazels

C’était en février mil neuf cent trente-neuf.
Miliciens et civils, harcelés par les bombes,
passaient les Pyrénées, l’œil hagard, le cœur veuf
de cette République offerte à l’hécatombe.

Sur l’ordre de Sarraut, ministre radical,
on a brisé les liens des familles errantes
et le mari parqué comme un vil animal
est arraché aux cris de ses filles aimantes.

Dans les wagons fermés, tassés comme des bêtes,
on envoie les enfants, les femmes, vers Couiza.
Dans la neige, les gens, lorsque le train s’arrête,
offrent aux malheureux du pain, du chocolat.

« Laissez-nous cet enfant, on va s’en occuper »
disent les villageois dont le cœur s’apitoie.
Enfin la porte s’ouvre et dans l’obscurité
les capes, les képis luisent le long des voies.

Il faut sauter du train. « Allez ! allez ! » Les femmes
chutent sur les genoux ou se tordent les pieds.
Sous les cris policiers et les sifflets infâmes
se hâte en gémissant le flot des réfugiées

vers le grand bâtiment, sépulcral et glacé.
Sur le béton humide on a mis de la paille
où la nuit, sans manger, toutes vont s’entasser,
crasseuses, harassées, comme un humble bétail.

Les grilles hautes de l’usine abandonnée
zèbrent de noir la vie des femmes prisonnières.
Cette fille qui berce un enfant nouveau-né
murmure encor le chant de son Espagne fière.

Une fillette là patauge dans la boue
qui ruisselle, noirâtre, au milieu de la cour.
Parmi les détritus où d’autres enfants jouent
galopent des souris dans la froideur du jour.

Pendant plus d’une année ces femmes espagnoles,
avec leurs nourrissons et leurs jeunes enfants,
sans radio, sans journaux, sans livres, sans école,
vont rester parquées là dans ce cloître indécent.

Elles venaient des Asturies ou de Galice,
ou bien de Catalogne, ou bien d’Andalousie.
Paysanne, ouvrière, modiste, institutrice,
elles pouvaient voter dans leur défunt pays.

Elles avaient conquis dans de rudes combats
des droits républicains ignorés des françaises
et les autorités, les préfets au front bas,
devant leur jeune ardeur demeuraient mal à l’aise.

Les gendarmes sont là avec leurs mitraillettes,
fouillant chambres et corps, de nuit comme de jour.
Et le médecin-chef les réprime et maltraite,
volant leurs aliments comme font les vautours.

La générosité, les dons des syndicats,
les dons des comités des français qui travaillent
sont détournés par les gardiens. Les matelas
s’entassent dans un coin sans remplacer la paille.

Épuisées par la faim, par la dysenterie,
par la gale et les poux, les filles quelquefois,
pour trouver le repos vont à l’infirmerie
boire un peu de bouillon pour résister au froid.

Pour tromper leur ennui les femmes solidaires
organisent l’école et récitent Lorca.
Mais bientôt la moitié, forcées ou volontaires,
retournent au pays où mourut Guernica.

Les autres sont restées, retrouvant leur mari
qui travaillait aux champs ou bien dans les forêts.
Plus tard combien d’entre eux moururent au maquis.
Aujourd’hui leurs enfants sont nos frères français.

Oh ! n’oublions jamais ce camp de Montazels,
ignoble enfermement voulu par notre État,
où souffrirent jadis vieillards et demoiselles.
Oh ! n’oublions jamais cet enfer de Couiza !

Trois quart de siècle après, l’exode recommence.
Par la guerre chassés montent les réfugiés
depuis l’Orient lointain sur les chemins de France
qui partage son cœur entre haine et pitié.

Pierre Thiollière, Cenne Monestiés, 10 mars 2016